NAISSANCE D'UN CINEMA
Le cinéma burkinabé, l'un des plus dynamiques du continent africain, est né d'un "mouvement d'humeur" ; en fait, l'idée d'un cinéma national a germé dans le cercle du pouvoir militaire qui gouvernait le pays quant, à la fin de l'année 1969, la COMACICO et la SECMA, les deux sociétés françaises de distribution qui pourvoyaient la Haute Volta en films décidèrent d'augmenter de 25% les coûts des tickets d'entrée dans les salles de cinéma.
Cette décision provoqua la colère de l'équipe du président Sangoulé LAMIZANA qui craignait qu'elle ne suscite un mécontentement généralisé au sein de la population. La crainte était légitime car, après l'interdiction d'émettre de la télévision que ce nouveau régime avait considéré à tort comme un média bourgeois, il ne restait à la population de Ouagadougou que le cinéma et les dancings comme moyens de distraction.
Par conséquent, face à l'intransigeance des sociétés de distribution étrangères d'appliquer la mesure d'augmentation des droits d'accès dans les salles, le gouvernement LAMIZANA décida le 5 janvier 1970, de nationaliser les salles de cinéma sur l'ensemble du territoire et de créer la Société nationale voltaïque de cinéma (SONAVOCI) à leur gestion ; la SONAVOCI détenait ainsi le monopole de l'importation et de la distribution cinématographique sur l'ensemble du pays de même que la responsabilité de l'exploitation des salles.
La suite ne sera pas une partie de plaisir : en représailles à la nationalisation des salles, les anciens exploitants décrètent la mise en quarantaine de la Haute Volta en la rayant du circuit de distribution. Le ministre de l'information d'alors, François BASSOLET raconte que face à la volonté de sabotage de ceux-ci, il fut envoyé en mission commandée à Paris par le président LAMIZANA avec pour objectif de ramener une quantité suffisante de films destinés à faire fonctionner les salles obscures pour quelques mois : "je pensais que les bobines de films étaient exposés dans les rayons des magasins et qu'elles se vendaient comme des boites de sardines ; je fus surpris de constater qu'elles appartenaient à des circuits commerciaux dont les accès nous étaient désormais verrouillés. Je revins au pays avec en tout et pour tout un seul film… un long métrage dont la carrière commerciale était achevée : Z de Costa GAVRAS".
Décidément, la COMACICO et la SECMA avaient la rancune tenace et avaient décidé de nous faire boire le calice jusqu'à la lie ; le face à face avec le gouvernement militaire de Ouagadougou s'annonçait impitoyable parce que de leur côté, LAMIZANA et les siens n'entendaient pas abdiquer. Parvenus au pouvoir à la faveur du raz le bol général qui mit fin au pouvoir du premier président Maurice YAMEOGO, ils mesuraient le prix d'un mécontentement populaire et étaient par conséquent décidés à donner la réplique. A ce propos, l'intendant militaire Tiémoko Marc GARANGO, ministre des finances de LAMIZANA à l'époque des fait nous a confié ceci dans le 5ème numéro du magazine cinématographique "ça tourne" intitulé "Naissance d'un cinéma" : "Nous nous sommes dit à l'époque que si nous sommes victimes de chantage, c'est parce que nous ne produisions pas nos propres films ; c'est parce que nous étions dépendant de l'extérieur. Nous avons donc décidé de produire nos films nous-mêmes afin d'alimenter nos salles de cinéma". Cette fois-ci, après avoir tiré leçon de la mission infructueuse de François BASSOLE à Paris, ils firent appel à un averti des questions cinématographiques sur le continent : un cinéaste africain au aux compétences techniques prouvées et au nationalisme aiguisé : le sénégalais Ousmane SEMBENE déjà auteur de plusieurs courts métrages dont "Borom Saret" et "Le mandat" et ensemble, ils mirent en place une stratégie qui, incontestablement, a fait ses preuves. La première décision qui fut prise fut la création du compte 30115 destiné à la production et au soutien de l'activité cinématographique. Ce compte qui était domicilié au Trésor Public était alimenté à partir des recettes engrangées par l'exploitation des salles de cinéma : sur chaque ticket d'entrée vendu, 15% du montant était reversé sur ce compte. C'est ce fond qui a du reste financé la production des premiers longs métrages burkinabé : "Le sang des parias" de Mamadou Djim KOLA en 1972 et "Sur le chemin de la réconciliation" de René Yonly Bernard en 1976. Il a également permis d'acheter un certain nombre de films africains tels "Baara" du malien Souleymane CISSE, Etalon de Yennega du FESPACO 79 "Ceddo" de Ousmane SEMBENE et "Muna Moto" du camerounais Dikongue KPIPA, Etalon de Yennega au FESPACO 76.
La nationalisation des salles a valu à la Haute Volta, l'estime et le soutien de bon nombre de cinéastes africains qui ont vu en cette décision, une volonté de résister à la domination des grands trusts étrangers.
Dans la foulée, d'autres décisions dont l'exonération à l'importation des taxes sur les produits cinématographiques suivront. Puis, le gouvernement LAMIZANA récupère une modeste manifestation créée par un groupe d'amis en 1969 et dénommée "Semaine du cinéma africain" qu'il transformera en Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou. La première édition du FESPACO se déroulera en 1972 après deux semaines tenues respectivement en 1969 et 1970.